Au delà de toutes les problématiques techniques et algorithmiques que présuppose l’intelligence artificielle, toute une pléiade d’interrogations relevant des sciences sociales viennent soutenir les prémices d’un paradigme à venir. Retour sur cette journée riche en réflexion.
La psychologie, ou la place des émotions
Quand la machine nous surprend et nous attendrit
Le domaine de la psychologie et même de la sociologie trouve en l’intelligence artificielle un terrain de jeu encore relativement préservé de toutes considérations.
Avec les dernières avancées notamment en terme de design, l’effet “Wahou” s’est rapidement fait ressentir dans l’audience à la présentation de Baby X, un programme expérimental capable d’apprendre et de reproduire des expressions et des mots, doublé de la représentation visuelle d’un enfant de 3 à 4 ans. Deux notions qui semblent antinomiques, mais qui font de notre écran le miroir d’un souvenir nostalgique et irréel de notre propre enfance.
Gaspard Breton de Dynamixyz évoque à ce sujet l’Uncanny Valley ou Vallée de l’Étrange, théorisée par Masahiro Mori, selon laquelle plus un robot ou une représentation animée est ressemblant à un être humain tel qu’on se le représente, plus ses défauts paraissent hideux et nous éloignent de toute comparaison possible.
Le projet Watson, projet de recherche d’IBM leadé par John R. Smith, s’est attaché à montrer qu’il était capable de systématiser la création d’un trailer de film d’horreur.
Là encore, il est question d’une mathématique des émotions : c’est en se basant sur trois grands ressentiments (la surprise, la tension, la peur) qu’il est mécaniquement possible de construire une bande-annonce efficace et fidèle à la créativité de l’homme.
Une certaine révolution des contenus par l’IA ?
Cependant, à ce sujet, deux camps s’opposent et nous en avons eu la démonstration lors des différentes battles : pour certains, il n’y a pas de réinventions possibles des lois narratives du scénario, ni des nouvelles structures ludiques. Certes, l’IA apporte de la valeur sur la création, sur la communication du produit final mais pas sur la mécanique en elle-même. Elle change l’expérience des utilisateurs par une interaction plus naturelle (Manuel Bedouet cite l’exemple du sac à dos dans un jeu de quête par exemple, dont le contenu, il y a quelques années, était accessible via un menu et qui peut désormais être atteint par un mouvement de la main dans le dos).
En soi, les arguments en faveur montrent une amélioration de la productivité mais pas de son contenu : la technique n’intervient qu’à demi-mot dans le processus créatif.
Une fois l’effet “Wahou” passé, se pose tout un ensemble de réflexions à propos de l’usage que nous pouvons faire de toutes ces technologies, et de la place que nous devons céder à l’intelligence artificielle dans les années à venir.
La philosophie, ou le rôle de l’Homme dans le choix de son destin
Comme l’a magnifiquement démontré Cyrille Chaudoit dans sa keynote, la place de l’intelligence artificielle dans nos sociétés, et plus globalement des nouvelles technologies, pose la question de la place de l’Homme dans une hiérarchie des différents acteurs de nos vies. Elle met en exergue tout un ensemble d’oppositions qui va bien au delà de la simple confrontation Homme/machine.
A travers l’IA, c’est aussi du transhumanisme dont il est question : grâce à la technique, sommes-nous prêts et souhaitons-nous tuer la mort, tuer le hasard ? A remettre en cause tout ce que nous connaissons sur la diversité de la génétique, sur l’évolution humaine ?
Ne cherchons-nous pas à confier nos destins à un Deus Ex Machina, capable de trouver des solutions par la logique à nos problèmes existentiels purement humains ? Le voulons-nous vraiment, alors que nous ne sommes pas, nous-même en mesure de faire avancer notre cause et notre condition ?
Les premières expériences menées par Microsoft et son robot Tay ne sont pas des plus encourageantes puisqu’en moins de 24h, “il” est devenu raciste, antisémite et sexiste.
Les derniers projets en cours soulèvent aussi l’interrogation de l’opposition de la Nature face à la Technique, reprenant ainsi le mythe de Prométhée. Constatant que les dieux n’avaient pourvu les Hommes d’aucun moyen de chasser et de se défendre, il leur vola le feu sacré pour l’offrir aux terriens. Le speaker rappelle aussi que l’appropriation par le progrès d’un nouvel outil suppose sa création, mais aussi la mise à niveau de l’Homme en permanence de cet outil.
L’éthique, ou rester maître du jugement de valeur
Des premières réflexions qui remontent aux années 1940
Le dilemme du tramway est l’une des théories fondatrices de toutes les questions relatives à la place de la robotique dans nos sociétés. Supposez que cinq personnes se trouvent sur les rails d’un tramway lancé à pleine puissance, et que vous avez la possibilité de commuter les voies et le faire changer de direction sur une voie secondaire où se trouve une seule personne.
Choisissez-vous, dans le temps imparti, de changer la direction du tramway ? Votre choix est-il fondé sur la valeur d’une vie humaine, en vous disant qu’une vie en vaut moins que cinq ? Si oui, à combien l’estimer ?
Les résultats montrent que les cobayes assujettis à ce choix impossible optent pour la fatalité, et préfèrent ne pas agir du tout face à cette situation.
Ces considérations soulevées par l’éthique ne sont pas sans rappeler les lois de la robotique énoncées par Issac Azimov. Mais si l’on rend un robot autonome, et quasiment doué de pensée humaine, est-il tout autant responsable qu’un homme et donc soumis à la justice, ou bien est-il toujours considéré comme un simple outil ?
De la responsabilité de l’Homme sur la machine
Là encore évoqué pendant la battle, il a été soulevé la responsabilité de l’industrie Tesla qui compte déjà un mort mettant en cause un de ses véhicules autonomes. Mais combien de morts dénombrons-nous dans les accidents de la route tous les jours ?
Partant de ces principes, comment apprendre aux machines des notions d’émotions, d’empathie, d’amour pourquoi pas et où placer le curseur en cas d’accident ? Le degré de responsabilité du concepteur diminue-t-il en fonction du nombre d’intermédiaires ?
Comme un couteau qui blesse ou qui aide à la cuisine, l’intelligence artificielle est une science dont on commence seulement à entrevoir les aboutissants, tant ses domaines d’application sont vastes. Surprenant compositeur ou plagiaire incapable de nouveauté, arme de guerre ou puissant remède contre le cancer, c’est à nous de canaliser ce Deus Ex Machina monté de toute pièce par la main de l’Homme, par des décisions quasiment politiques.
Sources : JC Monot / TV Rennes / 20 Minutes / Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique